Hautbois traditionnel
Dans l’actuelle région Aquitaine, la pratique du hautbois traditionnel est aujourd’hui quasiment inexistante : attestée par Félix Arnaudin dans les Landes dans la seconde moitié du XIXe siècle — mais depuis longtemps obsolète — ; encore assez peu présente, de nos jours, dans la musique béarnaise. Cependant, il n’en a pas toujours été ainsi, ne serait-ce qu’en raison de l’histoire ménétrière particulière de Bordeaux et aussi de la situation très excentrée et périphérique de cette région.
La chalemina
Il est indéniable qu’à l’échelle de la France, les aires de jeu du hautbois ont fortement rétréci, de l’Ancien Régime à nos jours, les marqueurs de l’identité locale ayant été fortement combattus. Alors que les anciens et nouveaux statuts de la ville et cité de Bordeaux — Statuts des Maistres joueurs d’instrumens (datés de 1621. Bordeaux, Simon Boé, 1701, in4°, p. 103) s’appliquent aux « Violons, Hautbois, Cornet & Flutte de la Ville de Bordeaux, tant pour eux que pour les successeurs à l’avenir », force est bien de constater que, dans cette ville, depuis très longtemps, plus personne ne leur succède ! Le hautbois a déserté Bordeaux et sa région pour s’excentrer encore davantage : les Landes et les Pyrénées.
Dans les Landes, il s’appelle tchalemine. C’est Félix Arnaudin, fameux folkloriste landais (1844-1921) qui en parle dans sa préface de l’édition de 1912 de ses Chants populaires de la Grande Lande, mais comme d’un instrument tellement obsolète qu’il en est presque oublié :
« L’instrument le plus ancien qu’on se souvienne avoir vu usité dans le pays (…) est une sorte de hautbois grossier, le tchalemine, dont je suis parvenu, non sans peine, à retrouver deux vétustes spécimens : il consistait en untube de bois vergne, de saule ou de vieux pin, légèrement conique, d’environ un pied de long, de près de deux pouces de diamètre et percé de six trous, à l’extrémité supérieure duquel s’adaptait une embouchure quelque peu délicate à construire : c’étaient deux minces lames de corne de trois à quatre pouces de longueur repliées par leurs bords l’une sur l’autre de manière à envelopper une languette de même substance, mais un peu plus courte, solidement fixée à elles sur sa base : le tout pénétrant assez profondément dans le tube, que cerclait à ce bout une forte bague de bois pour l’empêcher de se fendre, et qui s’évasait à l’autre en pavillon. Que ce rudimentaire instrument ait été jadis très répandu dans notre pays landais, c’est ce que je ne suis pas en mesure d’affirmer ; en tout cas il était bien connu vers Escource, où me l’ont spontanément décrit plusieurs vieillards à qui il avait été familier, et l’un des deux exemplaires que je possède m’est venu d’un berger octogénaire de cette localité qui en avait joué dans sa jeunesse pour faire danser ; j’ai tiré l’autre de Luë, mais il avait passé par plusieurs mains, et l’on n’a pu m’en indiquer au juste la provenance [Arnaudin indique que, bien qu’il ait été « dans l’impossibilité de vérifier le fait », la txanbela basque serait « de forme très approchante, sinon semblable, un peu plus petite seulement et faite de bois de buis »]. »
Clarins et Clarons
Proche de la txanbela souletine,le clarin pyrénéen l’est lui aussi : tout d’abord, par la présence d’un trou d’octave situé sous l’instrument (aucun hautbois français n’en possède) ; ensuite, peut-être, par le biais d’un jeu très particulier de soutien au chant, consistant en l’alternance, par le hautboïste, de phrases chantées et de motifs instrumentaux, dans un répertoire de poèmes chantés et de complaintes héroïques.
A la différence du claron, dont on ne connaît aucun spécimen mais qui semblait assez répandu aux XVIIe et XVIIIe siècles et dont certains auteurs nous disent qu’il mesurait de 30 à 45 centimètres , le clarin est de plus petite taille et donc de registre plus aigu, d’où son nom, le mot « clair », dans le vocabulaire musical historique, renvoyant à un son à la fois puissant et aigu.
Simin Palay le décrit ainsi :
« Il était, avec la flûte, l’instrument de musique préféré des montagnards pyrénéens ; on en trouvait aussi quelques-uns dans la plaine. On le faisait soit en buis, soit en hêtre, très secs, et de longueurs différentes allant de 25 à 40 centimètres ; ordinairement percé de sept à huit trous, dont un en dessous dans le haut, le clari pouvait, s’il était bien percé (…) donner deux octaves. L’anche (espiule) était faite soit de corne, soit de roseau, soit même de grosse plume d’aigle ou de jars. Le petit clari avait des sons aigus et aigres ; le grand, appelé souvent clarou, les avait plus doux. Ils sont aujourd’hui des objets de musée. »
Là aussi, il semble que les aires de jeu se soient rétrécies au fil du temps. Le claron, attesté par Arnaudin dans la Grande Lande et présent dans la plaine et le piémont aux XVIIe et XVIIIe siècles, a depuis longtemps complètement disparu. Quant au clarin, largement cité par les poètes béarnais des XVIIIe et XIXe siècles, sa pratique semble s’être maintenue dans les premières décennies du XXe siècle surtout en Vallée d’Aspe et Bigorre, Lavedan et Pays Toy. L’instrument fait l’objet, depuis le début des années 1990, d’un renouveau notable, tant en Bigorre qu’en Béarn, mais dont la portée reste encore limitée.